France qui as de tes yeux abbaissez
Par cy davant tant de ruisseaux fait croistre,
Cesse tes pleurs, tes malheurs sont cessez
Par un grand heur qui te vient d’apparoistre,
Mais en pleurant tu ne le peux congnoistre :
Car ce qui a joyeux commencement,
Et qui promet joyeux avancement,
Ne se doit point qu’en joye appercevoir.
Ton bien est tel, qu’un triste pensement
Ne le pourroit juger ny concevoir.
Pren le loysir, à ton aise, de voir
Ton nouveau Roy, ton nouveau gouverneur,
Auquel feras par un loyal devoir
Premierement reverence et honneur ;
Puis tu sauras partie de ton heur.
Tu as un Roy de ton sang procedé,
Et filz d’un
Roy nagueres decedé,
Après t’avoir gouvernee long temps ;
Un filz qui est au pere succedé,
Pour faire à coup tous ses subgetz contens.
Deux freres siens sont mors dès leur Printemps,
Chacun desquelz bien povoit estre tien :
Ce sont segretz divins ; mais tu entens
Que sans raison les hautz Cieux ne font rien.
Ilz les avoient envoyez pour ton bien,
Tous trois estans filz d'
un Roy et d’un pere,
Tous trois ayans ce qu’il faut qu’on espere
D’enfans Royaux. Si est ce, affin que d’eux
La volonté immuable t’appere,
L’un t’ont laissé, et t’ont osté les deux.
Ce n’est doncq’ point par un sort hazardeux,
Que de
Henry tu as eu jouissance,
Le veuil celeste a esté l’entredeux
Qui à Fortune a osté la puissance.
Le jour fatal auquel il print naissance
De Juppiter son nom heureux tenant,
Qu’estoit Phebus en son Mouton regnant,
Au nombre d’ans de vingt huit parfait,
Un mesme nom, ordre et mois reprenant,
Regner
Henri, France renaistre a fait.
L’hyver finy, l’an qui neuf se refait,
Le temps monstrant plus gracieux visage,
Prez, blez, bourg’ons et oyseauz, en effet,
Donnent par tout de joye le presage,
Nous promettans encor’ meilleur usage
A l’avenir, des trois autres saisons.
O bel accord des occultes raisons
A celles là, qu’evidence nous donne !
Doncq’ à bon droit grand’ feste nous faisons,
Puis que le Ciel et la Terre l’ordonne.
Il a atteint pour prendre une couronne
L’age qui est à regner plus decent,
Lors que le corps qui l’esprit environne
Plus vigoreux et addestre se sent,
Et s’au dehors le dedens se consent
Par les communs et naturelz accors,
Vertu d’esprit jointe à celle du corps
Si fort requise à si hautain affaire,
Fait qu’il saura, estant d’elle recors,
Bien commander, et encore mieux faire.
Le Ciel, Nature et le Temps pour parfaire,
De tous ses pointz nostre felicité,
Y ont voulu à loisir satisfaire
Nous le donnant sage et exercité,
Par le moyen de la diversité
D’evenemens qu’il a veuz loing et pres.
Ainsi voit on que par les longs apprestz
Les choses ont bonne et longue duree,
Et les plaisirs qui tardent, font après
Fuir plus loing la tristesse enduree.
O
noble Roy, ta France bienheuree
Dès maintenant entre tes bras se gette,
Et si se tient certaine et asseuree
Qu’estre ne peut à meilleur Roy sugette,
Ne s’estimant de sa part si abgette,
Qu’egalement priser tu ne la doyves ;
Puis te requiert que d’elle tu conçoyves
Opinion entiere en tous endroiz,
Si ne faudra que d’autres tu reçoyves
Pour soutenir ta puissance et tes droiz.
Les Roys premiers gouverneurs des François
Les ont fait vivre, et en honneur florir ;
Mais nous croyons que donné tu nous sois
Pour nous garder de languir et mourir.
Le temps pervers nous a fait encourir
Tant de malheurs, affin que plus de fruit
Il nous en viene, et à toy plus grand bruit,
Et à Dieu plus de graces et de gloire,
Lors que sera bien reglé et instruit
Ce qu’avant toy on ne povoit pas croire.
Or Dieu te doint des ennemis victoire
Par force moins que par dousse amitié,
Bien plantureux par tout ton territoire,
Aider vertu, reprimer mauvaitié,
Entremeller justice avec pitié ;
Puis si tu es contreint de faire guerre,
Que le tout soit pour briëve paix acquerre,
Tenir cent ans ton peuple sans souffrance,
Estre seigneur seul de toute la terre,
Dont tu es digne aussi bien que de France.